Le volume de pétrole détermine-t-il la croissance en Europe ?

Une des affirmations les plus surprenante de Jean-Marc Jancovici est que la baisse tendancielle de la croissance en Europe est due à une contrainte en volume de pétrole et non pas à une contrainte de prix. Dans ce billet, je vais essayer de démontrer que ça n'est pas du tout certain. 

Mais avant que la communauté des supporters ne me spamme de ces attaques, je vais d'abord dire tout ce que je dois à Jean-Marc Jancovici de ma prise de conscience écologique, climatique et énergétique. J'ai lu l'ancien site Manicore au moins 2 fois en entier, j'ai visionné absolument toutes ses conférences et lu plusieurs de ses livres depuis 15 ans. Pour autant je ne suis pas d'accord avec son raisonnement sur la contrainte en volume.


La première étape du raisonnement de Jean-Marc Jancovici, c'est que le volume de pétrole détermine le PIB. C'est son fameux graphe, où l'on voit le volume de pétrole varier et ensuite le PIB varier. Sur ce point je suis tout à fait d'accord avec lui. Le PIB mesure la contrepartie monétaire des échanges économiques. L'énergie est la contrepartie physique de ces mêmes échanges. Il n'y a pas d'échanges économiques sans flux physiques d'énergie, ce que beaucoup d'économistes négligent complétement. Il n'y a même pas d'échanges d'informations, sans flux physique  d'énergie. Je vous renvoie à mes autres billets sur la dématérialisation erreur sur la personne ou le virtuel n'existe pas. Il est donc tout à fait logique que l'énergie et le PIB varient ensemble. On peut même aller plus loin, le PIB est une mesure ex post. On ne peut constater les échanges marchands qu'une fois l'énergie 'consommée' par les machines qui nous servent à produire les richesses (voir aussi il n'est de richesse que de machines). La consommation de pétrole par les machines est donc bien antérieure à la création de richesses et à sa mesure par le PIB. Et comme par ailleurs, la production est quasiment en flux tendu, les stocks de pétroles sont faibles au niveau mondial, le volume de production est un indicateur avancé de l'évolution du PIB. Jusque là rien à redire.


L'autre partie du raisonnement, c'est de constater que la croissance du PIB en Europe est en baisse tendancielle depuis plusieurs décennies. Là également rien à redire, ce sont des statistiques très bien établies, même si nos hommes politiques nous font croire qu'ils ont la recette magique pour retrouver le chemin de la croissance. Et donc l'explication avancée par Jean-Marc Jancovici c'est que nous sommes contraint en volume de pétrole et c'est ce qui explique selon lui la baisse de la croissance de notre PIB. D'autant qu'il montre bien que le volume de pétrole produit en Europe est clairement en diminution, les pics pétroliers ayant tous été passés. Moins de pétrole, moins de PIB.

Mais la difficulté du raisonnement, c'est qu'on ne constate pas d'effet de pénurie de pétrole en Europe. On ne constate même pas un effet prix, comme Jean-Marc Jancovici le fait lui-même remarquer très bien à travers ses démonstrations sur les rapports prix/volume du pétrole. Autre difficulté du raisonnement c'est que si le problème était du à une contrainte en volume, il aurait suffit de produire plus de pétrole pour que le PIB reparte, or on ne le constate pas non plus alors que les réserves étaient et sont toujours considérables. 

Mais alors d'où vient le problème ?

Le problème vient d'un oubli dans le raisonnement macro-économique. Pour qu'il y ait échanges économiques et donc du PIB, il faut qu'il y ait une demande. Il faut que des êtres humains désirent consommer et soient en mesure financière de le faire. Il faut une demande solvable. L'énergie est un facteur, certes clef, du PIB, elle n'est pas la cause du PIB à elle toute seule. Si la production de pétrole augmente c'est que la demande en pétrole augmente, puis l'on produit plus de pétrole, puis l'on constate ex post que le PIB a augmenté. Or la demande est un facteur humain, dans lequel il y a beaucoup de psychologie. C'est au croisement des besoins, des capacités financières, des anticipations sur l'enrichissement futur, de la confiance dans l'avenir. Et en Europe ce que l'on constate, c'est une montée du chômage de masse depuis les années 1970, ainsi qu'une montée de l'endettement public & privé, tout ça combiné avec une modération salariale et une bulle immobilière. Après les 30 glorieuses, nous sommes passés dans un régime de croissance par l'endettement public & privé. Voir par exemple Raphaël Rossello, l'Opportunité du Covid19 sur cette question. 


Bien plus que la contrainte en volume de pétrole, c'est la modération salariale combinée à la bulle immobilière qui limite les capacités de dépenses de consommation des européens et donc la demande de biens & services, et donc la demande en énergie. Car depuis 15 ans la quantité de pétrole produite a continué de croître au niveau mondial, bien qu'on aie atteint le pic du pétrole conventionnel en 2008.  Il n'y avait pas de contraintes 'physiques' empêchant d'augmenter la production. Donc on ne peut pas dire que la contrainte en volume de pétrole a vraiment exercé ses effets du moins jusqu'à présent. On ne voit pas la trace de cette contrainte en volume. Ce qu'on constate, par contre, c'est que les coûts en capital pour l'extraction des nouveaux pétroles, pétrole de schiste, sable bitumeux augmentent fortement, mettant à mal la rentabilité des exploitations de pétrole les plus récents. Sans le quantitative easing américain le pétrole de schiste aurait eu bien du mal à survivre avec les cours actuels du pétrole. 

Je vais même aller plus loin, si le prix du pétrole ne suit pas la loi d'élasticité prix volume, comme le démontre Jean-Marc Jancovici, c'est justement que nous avons été en situation de surabondance de pétrole.

Dans son livre, Or Noir, la grande Histoire du Pétrole, l'actuel président du Shift Project fondé par Jancovici, Matthieu Auzanneau, démontre bien que dès le début il y avait surproduction de pétrole et que les prix s'effondraient. Rockfeller a fondé sa fortune, non pas sur les champs pétrolifères au départ, mais bien sur le monopole du transport du pétrole. Puis ensuite il y a eu le cartel des bigs Sisters, qui ont fixées les prix mondiaux jusqu'à la la crise de 1973. Laquelle crise a été provoquée par le pic pétrolier américain de 1971, nécessitant une remontée des prix pour rendre les exploitations américaines à nouveau viable économiquement. D'un prix fixé par un cartel occidental, on est passé à des prix soumis aux décisions d'un autre l'OPEP et aux spéculations des marchés. Quand les ressources sont surabondantes, si on veut éviter que les prix ne s'effondrent, il faut soit avoir  une entente sur les prix, situation des trentes glorieuses, soit une entente sur le volume de production, situation que l'OPEP tente de gérer depuis les années 70 avec des hauts et des bas. Et donc le fait que les prix soit erratiques et n'obéissent pas à l'élasticité prix/volume est justement un signe qu'on est en situation de surabondance et que d'autres facteurs fixent les prix. Il n'y a pas de contrainte en volume.

Mais les réserves de pétrole sont finies, et donc forcément un jour la contrainte en volume jouera. Ce que ce je conteste, c'est que jusqu'à présent nous ayons été durablement confronté à ce problème en Europe. Par contre, il se pourrait bien que dans la prochaine décennie nous soyons confronté à cette contrainte et de façon plus brutale que nous ne l'envisageons actuellement. 


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